Comment fait-on du podcast un outil méthodologique pour l’intervention artistique ?
Comment les paroles que mobilise le processus radiophonique se révèlent émancipatrices ?
En quoi le médium radiophonique permet aux personnes concernées de s’interroger sur le monde qui les entoure ?
Un tour d’horizon sur l’intervention radiophonique qui réunit plusieurs contributeurices marquant.e.s d’HTP radio, ou personnalités concernées par les démarches radiophoniques. Leurs expériences et opinions sont valorisées dans le cadre d’un mémoire de recherche au centre de formation pour plasticiens intervenants (CFPI) à la Haute école des arts du Rhin. Une proposition de Louis Moreau-Avila, coordinateur d’HTP radio, dont le pseudonyme est alt0193 sur le média.
Merci pour leurs paroles sincères à Juliette Chartier, Derya Kocak, Laura Garofalo, Pauline Desgrandchamp, Lassana Djimera, Mouhsine Fann.
En partant de témoignages réels et locaux, on s’est demandé concrètement comment s’organise le taf à Hautepierre ? Quelles émotions, quels rapports de force, le traversent ?
Cela fait maintenant deux ans que nous avons commencé à élaborer ensemble une série de podcasts sur les emplois populaires. Nous l’avons nommé «Travail sur le travail», et nous, c’est Nawal, Bilal, Ali, Léa, Hélène, Saadia, Pauline, Sarah, Louis, Maryame et Marie.
Notre but n’est pas de faire une analyse sociologique du monde du travail ou des travailleur·euse·s de Hautepierre. Nous cherchons plutôt à rendre compte de situations ou de portraits à Hautepierre à travers le prisme du taf. Dans cette série, vous entendrez les parcours d’humain·e·s, les engagements de groupes auto-organisés et la voix de travailleur·euse·s précaires.
> Pouvoir dire pour pouvoir agir?
Ce premier épisode dans son intégralité retrace les liens forts entre les discriminations de genre et la racialisation du travail. Effectivement, comme l’explique Hélène, artiste et habitante de HTP dans le podcast, si l’on se met à parler du travail féminin et de Hautepierre, on doit forcément interroger le travail racisé.
> Le poids du genre, de race et l’ancrage territorial sur l’expérience du travail
par Nawal Hafed, sociologue indépendante
Qu’est ce que le travail ?
Selon
la définition du dictionnaire du magazine Alternatives Économiques,
il désigne l’activité génératrice de revenus, en contrepartie
de l’effort fourni. Tandis qu’en économie, la notion de travail
est l’un des principaux facteurs de production du capital, et dans
ce sens, permet la “création de richesse d’un pays”
(journaldunet).
En
ce qui concerne les origines du terme, le sujet fait débat. Il
est question de souffrance ou de torture faisant écho à la
pénibilité du travail, mais aussi, à la phase qui précède
l’accouchement. Néanmoins, dans la société contemporaine,
celui-ci nous renvoie au caractère évoqué en amont, créateur de
revenus, toutes activités de production de biens et de
services, mais également, de considération sociale. J’entends par
là, l’utilité sociale et la reconnaissance sociale à travers le
travail. Aussi, cela nous renvoie à la classification de l’emploi
en société que l’on nomme les CSP, catégories
socioprofessionnelles.
Le
terme travail est à différencier avec le terme emploi, selon
Ilostat, le marché du travail désigne les diverses formes de
travail et statuts, comme par exemple, le travail de production pour
usage personnel, le travail salarié, le travail bénévole, le
travail gratuit, et autres activités professionnelles. Ce n’est
qu’en octobre 2013, lors d’une conférence internationale dans le
monde des statistiques à la 19ème ICLS que ces différentes formes
ont été adoptées afin de définir statistiquement le terme du
travail, de l’emploi et de la sous-utilisation de la main d’œuvre.
L’objectif de cette conférence est de permettre de
rendre visible l’invisible, (ilostat.ilo.org)
dans la collecte des faits et d’être au plus près de la réalité.
L’emploi impact directement la croissance d’un pays, de ce fait,
les pouvoirs publics se penchent sur la problématique du chômage,
notamment, dans certains territoires, comme celui des quartiers
populaires. Des mesures spécifiques sont mises en place à
travers
des contrats aidés, tels que les emplois PEC à destination des plus
jeunes, le dispositif emploi franc, ou encore le dispositif
d’adulte-relais, sorte de poste de médiateur de quartier. Pour
Hautepierre, le taux de chômage atteint 28,4% en 2016 (INSEE), et
43,6% pour les jeunes âgés de 15 à 25 ans. Aussi, le taux de la
population de 15 ans et plus non scolarisé, sans diplôme ou DNB
représente 47,8%.
Dans le cadre de la résidence Travail sur le travail, nous avons pu à travers les différents podcasts mettre en exergue l’expérience du travail auprès de femmes issues de l’immigration, racisées et des quartiers populaires.
Quid des expériences de travail de ces femmes ?
Les
différents témoignages évoquent la condition de la femme dans le
champ du travail et de son évolution en France. Le constat n’est
pas très optimiste…
Ils parlent également de leur confrontation à cette dure réalité qui est la leur mais aussi de leur inspiration… Autant de vérités que de personnalités en présence dans le podcast… L’exemple donné de la midinette fait écho au travail à la tâche qui revient aux femmes, mais également, à la précarité et à l’insécurité de l’emploi. Ce qui rejoint aussi le statut de l’emploi comme celui de l’auto-entrepreneur. Une certaine illusion de la part de certaines personnes quant à l’idée d’autonomie et de liberté liée à ce statut…
La femme, le travail, une construction sociale ?
Notre
investigation de terrain révèle ce que l’on nomme le travail
domestique, de ce fait, à la question de comment pouvoir concilier
vie de famille et travail pour une femme. Cela met un point sur la
charge mentale vécue et subie par les femmes.
Le
travail féminin est associé tant au travail précaire que
dévalorisant, comme nous le montrent certains métiers qui sont
majoritairement féminin tels que les métiers de service à la
personne, les hôtesses de caisse ou les femmes de ménage, pour
appuyer notre propos, prenons l’exemple de la lutte des femmes de
chambre de l’hôtel IBIS. Ce combat a mis en exergue les conditions
de travail des femmes, majoritairement des femmes racisées et issus
des quartiers populaires. On peut évoquer dans ce cas le concept de
pénibilité du travail. Dans un entretien avec Françoise Vergès,
les femmes de ménages: Le
capitalisme fait des corps racisés des sources d’exploitation
jusqu’à leur épuisement, elle montre que
la racialisation et la féminisation du travail de soin et de
nettoyage est ancienne tout en étant lié au passé colonial de la
France et à la surconsommation engendrée par le capitalisme
occidental. Elle parle alors de l’usure des corps qui entraîne des
problèmes très graves de santé. Mon expérience au niveau
personnel et professionnel marque bien cet aspect, à savoir, comment
les structures traitent de ce problème, une fois que le corps ne
suit plus? Il s’agit de passer par une reconnaissance, la maladie
professionnelle ou l’invalidité, pour le meilleur des cas.
Seulement, la société relègue cette problématique au champ du
handicap, une autre catégorisation qui amène encore plus à une
situation de précarisation.
Pour
le quartier de Hautepierre, les données suivantes appuient nos
propos, la part des actifs occupés pour les 15-64 ans ouvriers
représente 37,2% contre 16,3% pour le reste de Strasbourg, les
emplois précaires sont à 24,5% en 2016, INSEE. Le taux de
l’allocation Adulte Handicapé (AAH), d’un montant maximum de 950
euros est de 9,7% et le taux de pauvreté atteint 50,2%, contre 25%
sur Strasbourg.
Cette
catégorisation reflète les représentations sociales en société
provoquant le manque de reconnaissance d’une partie de la
population, pourtant ces différents métiers sont fondamentaux au
sein de la société comme nous l’a montré la crise sanitaire. Ce
que nous rappelle notamment une des interviewée du podcast, en tant
que militante syndicaliste.
Tous
ces témoignages ont des points communs, nous sommes, nous les
femmes, dans un perpétuel combat, il y a de la souffrance, de
l’injustice et des inégalités, hommes/femmes mais également ils
témoignent d’une fracture territoriale. Dans le même temps, cela
démontre aussi nos forces et nos valeurs, celles du travail et de
nos engagements familiaux et sociétaux. Nos luttes contre cette
domination, exploitation et oppression que j’appelle l’esclavagisme
moderne.
La réflexion à ce jour, comment travailler autrement ? Quels sont nos moyens d’action et d’agir pour y remédier ?
> L’ Autrice
Nawal HAFED, est née le 17 décembre 1977 à Strasbourg, elle a grandi dans le quartier de Hautepierre. Elle est issue de l’immigration, d’un père et d’une mère d’origine algérienne nés pendant l’Algérie française. Elle vient d’une famille de six enfants, sa place dans la fratrie est celle du milieu, c’est-à-dire la troisième, ce qui lui confère une personnalité de conciliatrice et de médiatrice avec un goût prononcé pour la justice et des capacités telles que la sociabilité, l’adaptabilité et la flexibilité.
Un parcours professionnel atypique,
Après avoir travaillé dans le domaine de l’industrie pendant plus de dix ans en tant qu’ouvrière qualifiée, elle reprend les études en 2010, en commençant par le diplôme d’accès aux études universitaires. En parallèle, elle débute professionnellement dans un autre domaine, dans les établissements scolaires pour un poste d’auxiliaire de vie scolaire, puis, avec l’obtention de son DAEU littéraire, elle peut prétendre à un poste d’assistant d’éducation en milieu rural. Ensuite, elle continue en tant qu’assistante de prévention et de sécurité au collège Erasme dans le quartier de Hautepierre pendant deux ans, pour finir, à accéder à un poste de conseillère principale d’éducation (CPE) vacataire pour l’année 2019 à 2020. En même temps, elle continue ses études en sciences humaines et sociales à l’Université de Strasbourg. À ce jour, elle est titulaire d’un Master 2 Sociologie, Parcours : Interventions sociales, Comparaisons européennes, Migrations et propose de manière indépendante son regard sur l’action publique vis-à-vis des quartiers populaires. Ses objets de recherches universitaires tournent autour des dispositifs et des limites de l’action publique, de la politique de la ville, de la jeunesse, de l’éducation, de l’orientation et de l’insertion professionnelle. La précarité de sa double position, professionnelle vacataire et mère étudiante, l’amène à trouver un autre emploi, en tant que médiatrice Insertion au Centre Socio Culturel du quartier de la Meinau à Strasbourg. Son engagement professionnel dans différentes associations, mais également son caractère déterminé, lui permettent d’assurer une posture réflexive sur le terrain et ainsi d’être au plus près de la réalité sociale actuelle. C’est dans ce cadre qu’elle participe au média HTP radio depuis 2018, en portant un regard de sociologue ancré, c’est-à-dire interrelié avec son propre vécu.
> Vers l’écriture d’un article de recherche autour de la résidence TRAVAIL SUR LE TRAVAIL !
Ce premier épisode a également servi à l’analyse distanciée du
média HTP radio dans le cadre d’un article de recherche proposé
par trois membres actifs de la radio, Nawal Hafed, Louis Moreau-Avila
et Pauline Desgrandchamp,
« Média tactique en quartier populaire et narrations radiophoniques partagées : vers une production de l’information décentralisée »
Si cela vous intéresse et que vous avez 23 minutes devant vous, rdv ici !
Durant cet épisode, Sarah Bordel intervient le 8 mars lors d’un évènement au CSC le Galet à Hautepierre, pour parler des tabous qui nous freine dans notre accès à nos droits en tant que femmes et minorité de genre.
Si vous ne le saviez pas, le 8 mars, est la journée international de lutte pour le droit des femmes et des minorités de genre en France (et non pas la journée de la femme). C’est depuis 1977 que les Nation Unies officialisent cette date et qu’on revendique tous les ans à l’international le droit de vote des femmes, le droit au travail, la fin des discriminions au travail, l’IVG et j’en passe, pour essayer d’atteindre des droits vers une certaine égalité.
Le 8 mars est un peu comme un jour pour faire le bilan chaque année sur nos avancés en tant que femme dans notre société. Quelles sont les victoires ? Les droits à atteindre ? Nos luttes ou encore les prochaines étapes, les manifestations etc.
Mais j’aurais tendance à dire que ce jour ne devrait pas exister, car on mérite tou.te.s de pouvoir vivre sa vie comme on l’entend sans que cela ne soit remis en cause, questionné, ou jugé ; que se soit sur notre manière de s’habiller, de se tenir, de parler ou même de s’énerver. La société veut de nous qu’on soit lisse et parfaite lolz.
Dans cet épisode nous allons requestionner un système blanc hétéro patriarcal et validiste c’est-à-dire un système où les hommes prédominent sur les femmes et les utilisent.
Pour cela nous sommes allées questionner des femmes lors de cet évènement en abordant les différents tabous ou freins qu’on peut leur imposer et qui pouvaient selon elles rendre plus difficile l’accès à certains droits. Et ça c’était hyper enrichissant, alors je vous laisse avec la suite, vous verrez par vous-même !
> merci aux femmes que j’ai pu interviewer lors de cet épisode et désolé pour les bruits de fond (mais ce sont les aléas du direct) Merci à Emilie, Julie, Marguerite, Saadali, Amina, Marguerite, Viana et Julie et merci à Mathilde Manier qui m’accompagne sur ce projet en tant qu’intervieweuse
Sources et composant du podcast : – entretien réalisé le 8 mars 2023 au CSC le Galet à Hautepierre, maille Catherine – un extrait de l’hymne Debout les femmes chanté par 39 femmes pour la maison des femmes https://www.youtube.com/watch?v=8VCcrRY3PKU&ab_channel=39FemmesVEVO
Pour aller plus loin : – Culottées tome 1 et 2, Pénélope Bagieu, 2016-2017 ou sur France tv en dessins animés https://www.france.tv/france-5/culottees/ – Nofi Média sur Facebook et instagram ou encore sur leur site https://www.nofi.media/ – Un article sur le droit des femmes sur Amnesty https://www.amnesty.org/fr/what-we-do/discrimination/womens-rights/
En expédition à l’école d’architecture de Grenoble, j’ai choisi de réaliser un journal sonore de mon immersion d’une semaine. Quelle autre forme aurais-je pu choisir pour restituer ma rencontre avec ces chercheureuses sur l’espace sonore, ces étudiant.e.s en urbanisme ou en architectures, ces électrons libres venus de France et de Navarre pour approfondir leur relation au sonore ? Présentation de l’école d’hiver du laboratoire du Centre de Recherche sur l’Espace Sonore et l’environnement urbain (CRESSON) à laquelle je participerai. En compagnie évoquée de Nicolas Tixier, Grégoire Chelkoff, Téo Marchal, JuL, et bien d’autres…
Jour 5 et dernier jour ! Le temps des conclusions. D’Augustin et du glossaire de mésologie… et autres perspectives.
La cartographie du CRESSON qui recense un nombre considérable d’explorations spatio-sonores: https://www.cartophonies.fr/
https://www.ehess.fr/fr/ouvrage/m%C3%A9sologie-autre-paradigme-pour-lanthropoc%C3%A8ne à propos de La mésologie, un autre paradigme pour l’anthropocène ? « Nous sommes entrés dans une ère où les effets de l’action humaine sur la planète deviennent géologiquement significatifs. Quelle que soit la date à laquelle il est possible de faire remonter cette nouvelle ère, les bouleversements sont d’une ampleur inédite et potentiellement irréversibles à l’échelle humaine. Face à ces bouleversements, la mésologie telle que repensée à travers les recherches du géographe orientaliste Augustin Berque invite à un nouveau paradigme, dépassant le dualisme mécaniste qui a fondé la modernité. Comment les sciences actuelles – celles dites exactes autant que les sciences humaines et sociales – peuvent-elles s’en nourrir pour repenser les interactions entre la planète et les êtres humains et proposer des perspectives à notre société actuelle et à venir ? Telle est la question à laquelle cet ouvrage cherche à apporter des réponses. Organisé autour de trois thématiques (« Notions et théories de la mésologie », « Champs du déploiement de la mésologie », « Mutations des milieux humains et non humains »), il reprend les interventions et les synthèses des débats du colloque La mésologie, un autre paradigme pour l’anthropocène ? qui s’est déroulé au château de Cerisy-la-Salle du 30 août au 6 septembre 2017 autour des travaux d’Augustin Berque. »
En expédition à l’école d’architecture de Grenoble, j’ai choisi de réaliser un journal sonore de mon immersion d’une semaine. Quelle autre forme aurais-je pu choisir pour restituer ma rencontre avec ces chercheureuses sur l’espace sonore, ces étudiant.e.s en urbanisme ou en architectures, ces électrons libres venus de France et de Navarre pour approfondir leur relation au sonore ? Présentation de l’école d’hiver du laboratoire du Centre de Recherche sur l’Espace Sonore et l’environnement urbain (CRESSON) à laquelle je participerai. En compagnie évoquée de Nicolas Tixier, Grégoire Chelkoff, Téo Marchal, JuL, et bien d’autres…
Jour 4. Activités hybrides, entre théorie et pratique sonore. évocation de Jean-Yves Petiteau, sociologue qui s’est intéressé aux itinéraires habitants. Son idée ? « Suivre une personne qui nous guide par le corps et la parole sur un territoire qu’il invente et construit par la mise en scène de son récit ».
La cartographie du CRESSON qui recense un nombre considérable d’explorations spatio-sonores: https://www.cartophonies.fr/
https://gdsentiers.hypotheses.org/411 Extrait du carnet de recherche nommé Grands sentiers. « Jean-Yves Petiteau montre ici par ses entretiens écrits “l’importance de la prise de parole qui inaugure par l’énonciation de références et contextes d’ordinaire négligés ou invisibles “un passage à l’acte” qui agence dans l’espace/temps des rapports qui construisent et ménagent un territoire.”
En expédition à l’école d’architecture de Grenoble, j’ai choisi de réaliser un journal sonore de mon immersion d’une semaine. Quelle autre forme aurais-je pu choisir pour restituer ma rencontre avec ces chercheureuses sur l’espace sonore, ces étudiant.e.s en urbanisme ou en architectures, ces électrons libres venus de France et de Navarre pour approfondir leur relation au sonore ? Présentation de l’école d’hiver du laboratoire du Centre de Recherche sur l’Espace Sonore et l’environnement urbain (CRESSON) à laquelle je participerai. En compagnie évoquée de Nicolas Tixier, Grégoire Chelkoff, Téo Marchal, JuL, et bien d’autres…
Jour 3. Jour clé de voûte de l’immersion à l’école d’hiver du CRESSON: il reste autant de jours après qu’il y en a eu avant. Mais aussi jour central car il restera celui qui fut le plus intense, le plus prolifique. Découverte de Résonances Oasiennes, une exposition autour de travaux collectifs en architecture et en son, au sein de laquelle Salima Naji et David Goeury ont joué un rôle important, l’un en tant que docteur en géographie, l’une en tant qu’architecte et docteure en sciences sociales (voir les articles liés ci-dessous). La journée n’a pas cessé de rebondir de façon inattendue. Un podcast dense mais riche en enseignements!
La cartographie du CRESSON qui recense un nombre considérable d’explorations spatio-sonores: https://www.cartophonies.fr/
« Engagée dans de nombreux projets de protection du patrimoine oasien, elle fonde son agence au Maroc en 2004 pour proposer une alternative constructive, en privilégiant les technologies des matériaux premiers (terreet pierre) et biosourcés, dans une démarche d’innovation respectueuse de l’environnement. Rare femme à œuvrer dans le monde rural et le Sud marocain où elle est installée depuis 2008, elle fait œuvre de pionnière et contribue par son plaidoyer continu (chantiers pilotes, presse, exposition, publication, symposium) à modifier progressivement les pratiques architecturales et le code de l’urbanisme.
Depuis près de 20 ans, elle multiplie les chantiers participatifs autour des architectures collectives sahariennes (ksours, et greniers collectifs) afin de valoriser ces ensembles bâtis dans leurs paysages. Parallèlement, elle perfectionne toutes les techniques vernaculaires pour une architecture contemporaine à caractère social (maternités, centres culturels, foyers féminins, internats, etc.) pour proposer un développement soutenable appuyé sur les habitants et une fine connaissance des territoires.
Sa pratique est doublée d’une activité scientifique intense. Elle est ainsi investie dans de nombreux programmes de recherche action internationaux qui interrogent la durabilité et la relation profonde entre les sociétés et leur environnement par le prisme de l’architecture. Elle est aussi membre du comité scientifique du musée berbère du Jardin Majorelle depuis 2011 (Fondation Yves Saint-Laurent-Pierre Bergé Marrakech & Paris) et développe une importante réflexion sur la médiation culturelle et la transmission du patrimoine bâti mais aussi archéologique.
Elle a publié de nombreux ouvrages d’architecture, Le Ksar d’Assa. Sauvegarde d’un port du Maroc saharien en 2013 (réédition en cours), Greniers collectifs de l’Atlas en 2006, Portes du Sud Marocain en 2003, Art et architectures berbères en 2001 (réédition 2009), ainsi qu’un essai d’anthropologieFils de saints contre fils d’esclaves, Les pèlerinages de la Zawya d’Imi n’Tatelt (Anti-Atlas et Présahara, Maroc) en 2011. Enfin, en 2010, elle a rédigé la préface à la réédition de l’ouvrage de 1938 d’Henri Terrasse, Kasbas Berbères de l’atlas et des oasis (Les grandes architectures du Sud marocain).
Chevalier des Arts et des Lettres (2017), elle a reçu de nombreux prix nationaux et internationaux d’architecture (Prix Holcim du Développement Durable, Afrique-Moyen-Orient, 2011 ; Takrim de l’Ordre des architectes du Maroc 2007 et Prix du mérite 2019 ; Prix « Jeunes architectes 2004 » de la Fondation EDF). Son travail a été remarqué en 2013 dans la shortlist de l’Aga Khan Award for Architecture: « Preservation of Sacred and Collective Oasis Sites » (Préservation des architectures sacrées et collectives des oasis du Maroc). »
https://lcv.hypotheses.org/16775 Parution de l’ouvrage Résonances Oasiennes. Approches sensibles de l’urbain au Sahara. « Îlots de vie surgissant au milieu de l’aridité du désert, les oasis sahariennes abritent depuis des siècles un habitat aux formes éprouvées. Cette adaptation matérielle et spirituelle aux contraintes climatiques du désert est aujourd’hui mise à mal par des politiques de rationalisation et de modernisation inspirées des modèles occidentaux. L’oasis se voit ainsi réduite à un potentiel agricole à exploiter ou à un décor touristique à valoriser, au détriment de sa richesse architecturale et de la pratique quotidienne de ses habitants.
S’inscrivant en faux contre cette évolution, Résonances oasiennes propose une approche sensible de ces territoires pour mieux en révéler et défendre la singularité. Issu d’un processus collaboratif original autour des ambiances sonores, cet ouvrage invite le lecteur à s’imprégner de l’atmosphère des oasis à travers une analyse vivante de leur patrimoine bâti et des modes de vie de leurs habitants. Il souligne ainsi la nécessité de promouvoir l’architecture vernaculaire et la culture qui l’a développée afin d’affronter les défis économique, démographique et climatique auxquels ces espaces sont aujourd’hui soumis. »
Le carnet aborde un ensemble de problèmes posés aujourd’hui par l’urbanisation rapide des pays méditerranéens, et tout particulièrement ceux qui concernent les périmètres irrigués historiques. La modification de la gouvernance urbaine, mais aussi des cadres d’habitation et des modes de vie induisent à la fois une transformation nécessaire des pratiques agricoles, mais aussi un ensemble de dégradations écologiques et matérielles de ces périmètres irrigués à proximité desquels se sont constitués les premiers hameaux. Ces métamorphoses représentent aussi une menace pesant sur la sauvegarde de traditions multi séculaires. Des savoir‐faire riches d’un rapport singulier et complexe avec les ressources naturelles ont amenés à transformer des contraintes en opportunités.
Architectures du bien commun, pour une éthique de la préservation, ouvrage de Salima Naji
« Défendre une architecture du bien commun, signifie interroger le bâtiment mais aussi les conditions de son édification, les pratiques spatiales, l’usage social, l’attachement au lieu.
L’objet architectural doit être pensé dans un temps long et dans un contexte social ouvert afin de mieux cerner son empreinte et les possibles qu’il génère. Les oasis sont une source d’inspiration qui engage la réflexion sur la durabilité des constructions contemporaines. Agriculture et construction y sont étroitement liées autour de la pierre, de la terre, du palmier et autres végétaux résistants.
Cette ingénierie de l’adaptation, développée par les communautés de l’Atlas et du Sahara, concerne tout autant les techniques d’irrigation et de préservation du végétal que le génie architectural. Les espaces oasiens attestent, sur la durée, de la capacité des hommes à constituer un environnement viable malgré des contraintes climatiques extrêmes. »
En expédition à l’école d’architecture de Grenoble, j’ai choisi de réaliser un journal sonore de mon immersion d’une semaine. Quelle autre forme aurais-je pu choisir pour restituer ma rencontre avec ces chercheureuses sur l’espace sonore, ces étudiant.e.s en urbanisme ou en architectures, ces électrons libres venus de France et de Navarre pour approfondir leur relation au sonore ? Présentation de l’école d’hiver du laboratoire du Centre de Recherche sur l’Espace Sonore et l’environnement urbain (CRESSON) à laquelle je participerai. En compagnie évoquée de Nicolas Tixier, Grégoire Chelkoff, Téo Marchal, JuL, et bien d’autres…
Jour 2. On retrousse nos manches, l’espace ouvre ses portes. Nous ouvrons nos oreilles, allumons nos micros, parcourons des intersects, établissons des relevés de toutes sortes. Nous butinons dans tous les sens et ça n’a pas l’air organisé. ça ne l’est pas. Le but : prospecter cet espace auquel nous n’avions pas prêté attention jusque là. Orpailleurs d’une ressource invisible, le son, dans une dimension que trop connue: l’espace géographique de la ville.
La cartographie du CRESSON qui recense un nombre considérable d’explorations spatio-sonores: https://www.cartophonies.fr/
En expédition à l’école d’architecture de Grenoble, j’ai choisi de réaliser un journal sonore de mon immersion d’une semaine. Quelle autre forme aurais-je pu choisir pour restituer ma rencontre avec ces chercheureuses sur l’espace sonore, ces étudiant.e.s en urbanisme ou en architectures, ces électrons libres venus de France et de Navarre pour approfondir leur relation au sonore ? Présentation de l’école d’hiver du laboratoire du Centre de Recherche sur l’Espace Sonore et l’environnement urbain (CRESSON) à laquelle je participerai. En compagnie évoquée de Nicolas Tixier, Grégoire Chelkoff, Téo Marchal, JuL, et bien d’autres…
Jour 1. Entrée en matière: objet sonore ? Paysage sonore ? Soundscape ? Effets sonores ? Phonocène ? équilibre métabolique ? Drône urbain ? élément postural ? brouillard sonore ? sentiment ubiquitaire ? Donna Haraway ? HELP !
La cartographie du CRESSON qui recense un nombre considérable d’explorations spatio-sonores: https://www.cartophonies.fr/
« Les oiseaux sont attachés au territoire, on dit qu’ils sont philopatriques, ils reviennent sur le même lieu d’une année à l’autre, parfois au mètre près »
Le phonocène est une proposition de la philosophe américaine Donna Haraway*. Il y a plusieurs manières de désigner notre époque : depuis quelques temps, on dit que nous habitons l’anthropocène qui considère l’humain comme une force géologique suffisante pour influencer le devenir de la planète et donc son impact sur la terre.
Et puis, on a parlé de capitalocène, rendant le capitalisme responsable de ce qui nous a menés là. D’autres, comme l’anthropologue Anna Tsing, parle de plantationocène, qui met en cause l’origine des plantations, avec l’esclavage, le type d’agriculture associée, etc.
Pour Donna Haraway, chacun de ces termes, aussi contestable et contesté soit-il, a un mérite : permettre une prise particulière, comprendre et faire attention à certaines choses. Elle-même propose le Chthulhucène. Le Cthulhu est une gigantesque créature extraterrestre inventée par l’écrivain américain Lovecraft, engloutie dans les flots du Pacifique. Il évoque les forces Knotiennes et telluriques. Le Chthulhucène de Donna Haraway propose un retour à la terre. Et elle précise qu’elle aurait pu nommer ce Chthulucène phonocène, c’est-à-dire l’ère où l’on entend les sons de la terre, où la terre gronde par exemple, où l’on prête attention à la disparition de certains chants.
Le phonocène nous fait entrer dans l’ère des sons ?
Oui en effet. Donna Haraway parle de l’ère des sons, de faire attention aux sons de la terre et c’est une belle proposition. Que voudrait dire Habiter le phonocène ? C’est difficile d’habiter l’anthropocène car on parle d’un monde de ruines, difficile aussi d’habiter le capitalocène puisque c’est abstrait et qu’on désigne l’ennemi. Avec l’ère du phonocène, on parle de quelque chose qui peut nous ré-ouvrir à d’autres formes de sensibilités, qui nous rend attentif à la manière dont les oiseaux chantent ensemble, dont ils font attention les uns aux autres quand ils occupent l’espace sonore, quand ils habitent le monde sonore.
Alors qu’est-ce que cela signifie pour nous, humains, de devenir plus attentifs aux sons ?
Cela change beaucoup de choses. Vous savez, nous sommes des êtres de vision et cela a un impact important sur notre rapport à la réalité. L’espace du visuel est toujours un rapport de certitude. Par exemple, l’expression « il faut le voir pour le croire » prouve qu’il n’y a pas beaucoup de doutes sur ce que nous voyons. Alors qu’avec le son, nous sommes dans l’incertitude et dans la curiosité car lorsque nous entendons un son, en général nous ne savons pas d’où il provient exactement, ni qui l’exprime. Nous ne pouvons ou ne devons que le deviner. L’ère du son fait donc la place à l’imaginaire et à l’invention. Elle nous place dans une vérité qui n’est pas référentielle comme le dit Thibault De Meyer*, mais dans une vérité qui est générative, c’est-à-dire une vérité qui produit du réel. Il nous incombe de nous mettre en quête de cette production de réel.
Nous qui fabriquons du son avec les podcasts, nous savons par une étude américaine que le son emmène les gens dans un monde imaginaire, qu’il ouvre des fenêtres que l’image ne permet pas d’ouvrir…
Vous avez tellement raison ! Cela me fait au livre Voyager dans l’invisible de Charlotte Stepanov* sur le chamanisme, qui parle des différents types d’imaginations. Certaines d’entre elles sont contemplatives et passives là où d’autres sont actives et agentives, c’est-à-dire qu’elles nous poussent à imaginer beaucoup plus que simplement voir ce qu’on nous donne à imaginer.
Et ce n’est pas par hasard sans doute que les transes, ces voyages extrêmement imaginatifs, ces façons de se mettre dans un état favorable à percevoir des choses qu’on ne perçoit normalement pas, se fassent le plus souvent par les sons : ceux d’un tambour ou de chants. C’est vrai que le son affecte le corps.
Vous nous faites comprendre dans votre livre qu’en écoutant le son des oiseaux, on multiplie les mondes au lieu de les réduire à un seul en l’occurrence, le nôtre. Selon vous, comment ils habitent les oiseaux ?
Les oiseaux ont de multiples manières d’habiter, c’est cela qui est très intéressant. D’abord parce qu’ils sont extrêmement différents. Ils ont à la fois des caractéristiques communes et de nombreuses différences : un rouge gorge qui aime la solitude est différent d’un rossignol qui vit la nuit, d’une mouette ou d’un merle dont l’urbanisation est une véritable réussite. Pourtant les 1ers ornithologues qui se sont penchés sur la manière d’habiter des oiseaux ont systématiquement apporté une raison darwinienne et fonctionnelle à leurs comportements : chercher un promontoire, chanter de manière excessive, s’isoler les uns des autres, arpenter les espaces… répondaient à une question d’utilité. De fait, Habiter signifiait occuper un lieu pour subvenir aux besoins de la nichée, pour appâter les femelles ou pour avoir un lieu de reproduction. C’est une bonne hypothèse, mais elle est à mon avis un peu courte. Il n’y a pas de raison que les oiseaux, dotés d’un cerveau complexe comme le nôtre, ne fassent les choses que pour une seule raison. C’est une caractéristique relativement bien distribuée que les êtres vivants fassent des choses pour plusieurs motifs.
Alors d’autres ornithologues ont avancé des hypothèses plus audacieuses, notamment en observant ce qui ne va pas. Par exemple, on pensait que les oiseaux défendaient très agressivement leur territoire par des combats ; or, ils constatent d’une part qu’il y a très peu de blessés, d’autre part qu’un territoire change très rarement de main. Ce sont donc des conflits qui ont peu de conséquences physiques et aucune conséquence matérielle sur les oiseaux. Ils en déduisent donc qu’il y a d’autres raisons, et surtout, ce qui est très intéressant, c’est qu’ils se débarrassent du schème le plus fréquent qui explique le comportement des animaux par la compétition et l’agressivité. Ce qui leur permet de regarder ailleurs et d’être attentifs à autre chose : la beauté de ce qui émane du territoire des oiseaux, la répétitivité des chants, l’éclat des plumages, l’extravagance des gestes… Ils se sont dits : menaces oui, bluff oui et pourquoi pas spectacle ! Ils en ont conclu que le territoire était un prétexte à la spectacularisation, que les conflits aux frontières n’étaient pas simplement des conflits pour grappiller un espace ou conquérir une femelle, mais qu’il devient un espace de jeu, une comédie où les oiseaux essaient d’entrer en relation les uns avec les autres.
Les oiseaux ne cherchent pas à posséder, mais ils font territoire, c’est une expression que vous utilisez ?
Le territoire, l’espace n’existe que dans les actes : si l’oiseau arrête le chant, alors il n’y a plus de territoires. Le territoire déjoue la question de la propriété privée. Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’appropriation ne désigne plus le fait d’être propriétaire au sens traditionnel du terme. Je vous donne un exemple éloquent : la plupart des mammifères se cachent dans un territoire alors que les oiseaux investissent le territoire comme lieu de parade, un lieu où l’on se montre, où l’on chante à tue-tête. Toutefois on trouve un rapport de similitude si l’on compare l’odeur, la marque et le chant. Les mammifères marquent leur territoire, aux frontières mais aussi dans tout le territoire. Comme les chèvres des montagnes Rocheuses par exemple, qui marquent leur territoire mais se marquent aussi de leurs propres odeurs. Elles se roulent par terre, se frottent, prennent les odeurs de ce qu’il y a à l’intérieur du territoire. Ainsi, la chèvre devient le territoire et le territoire devient cette chèvre des montages rocheuses. Ce qui veut dire, -et le pionnier de l’éthologie, biologiste et philosophe allemand Jakob Johann von Uexküll- l’avait déjà envisagé, que le territoire est une extension du corps propre de l’animal. On voit cette extension à l’œuvre dans ce geste de la chèvre. Alors les oiseaux en chantant ne font-ils pas la même chose ? Ne sont-ils pas en train d’étendre leurs corps par la voix de telle sorte que le territoire et l’oiseau deviennent indistincts ? L’oiseau fait corps avec le territoire, le territoire est approprié à l’oiseau tout comme l’oiseau est approprié au territoire.
L’oiseau dit d’une certaine manière « le territoire c’est moi ». Que pourrait-on apprendre des oiseaux de leur manière d’habiter ? Vous parlez du territoire comme condition d’attachement pour l’oiseau…
Oui, le territoire va attacher les êtres entre eux. Beaucoup d’oiseaux forment des couples stables. Retrouver le territoire d’une année à l’autre, c’est retrouver son partenaire. Une alliance est faite par le territoire. D’autres oiseaux ne le sont pas où le sont de façon saisonnière. Alors le territoire permet aux oiseaux d’être libres entre le moment de la fécondation et la construction du nid dont le délai peut être long. L’ornithologue britannique Elliot Howard* explique qu’entre ces deux moments, les oiseaux ne sont pas tenus de rester l’un avec l’autre, ils ne se retrouvent sur le territoire que pour la nidification.
Oui les oiseaux sont attachés au territoire, on dit qu’ils sont philopatriques, ils reviennent sur le même lieu d’une année à l’autre, parfois au mètre près. Et revenir au même endroit, cela veut dire retrouver des voisins. Il y a donc des collectifs territoriaux qui se créent. Le territoire des oiseaux n’est absolument pas individualiste, ce sont des territoires collés les uns aux autres, avec les mêmes individus qui se retrouvent chaque année, chantent les mêmes chants, se connaissent, ont des habitudes ensemble. Chez l’alouette des champs par exemple, il y a quelques petites bagarres au moment des retrouvailles, mais ce sont des périodes d’ajustement qui leur permettent de reprendre les habitudes de l’année précédente. Ça aussi, ce sont des attachements.
En écoutant ce chant des oiseaux, on comprend qu’il y a de multiples façons d’habiter la terre, et de manière d’être et d’habiter, c’est ce que vous dites… Qu’est-ce que les oiseaux vous ont appris à vous personnellement Vinciane ?
La 1ère chose c’est ce chant de merle qui habite en face de chez moi et qui m’accompagne depuis quelques années. Il m’a réveillé un matin vers 6 heures, et j’ai été incapable de me rendormir tant j’étais bouleversée, captivée. Je ne pouvais pas m’empêcher de l’écouter. D’abord parce que c’est beau, ensuite parce que leur chant est découpé en séquences : il y d’abord une séquence qui leur est propre, et puis il y a une variation sur les 3 dernières notes, où les merles entrent en dialogue les uns avec les autres, et à chaque séquence il y a une invention, une variation. Je me suis dit alors : pour que ce merle chante comme cela, c’est qu’il y a quelque chose qui lui importe, comme rarement j’ai senti que quelque chose pouvait importer à un être. Je me suis dit les merles ont inventé l’importance, comme les corneilles ont inventé sautillement. Alors, qu’allais-je faire de ce chant de merle qui me bouleversait tant, allais-je le faire entrer dans mon travail ? Faire entrer cette importance de l’extrêmement vivant dans la philosophie. C’était en 2009, et je suis persuadée aujourd’hui que la vie importée dans la philosophie est un fil conducteur de mon travail. Cela m’a permis d’écrire ce livre avec une double obligation : ne pas oublier de faire honneur à cette dimension du chant dans mon écriture. Et m’interroger sur ce que signifiait d’être traversée de l’importance d’un être qui est aussi différent de moi, avec lequel je n’ai aucun rapport et qui ne sait pas que je l’écoute. D’ailleurs, je ne veux pas qu’il le sache car cela voudrait dire que le l’ai dérangé. Donna Haraway disait : intimité sans proximité, c’est l’un des rapports que l’on doit aussi apprendre à avoir avec les autres êtes vivants. Notre présence n’est pas toujours souhaitable. Savoir que ce n’est pas seulement nous qui créditons de l’importance dans le monde mais le monde lui-même.
*Travaux de références
Donna Haraway est professeure émérite au département de sciences humaines de l’université de Californie à Santa Cruz, où elle était titulaire de la chaire d’histoire de la conscience et des études féministes.
Thibaut de Meyer mène une recherche doctorale sous la responsabilité de Vinciane Despret à l’université libre de Bruxelles sur le perspectivisme en rapport avec les pratiques scientifiques contemporaines, notamment l’éthologie et à la psychologie animale
Anna Tsing, Le champignon de la fin du monde
Salomé Voegelin, Sonic Possible Worlds. Hearing the Continuum of Sound
Colloque Automédias, 22-24 juin 2022 à la Maison des sciences de l’Homme Paris-Nord. Yves Citton, Le Canard Réfractaire, Baptiste Kotras, Louis Morelle : une discussion vive et animée, sur un sujet abordé trop souvent de façon consensuelle.
Colloque Automédias, 22-24 juin 2022 à la Maison des sciences de l’Homme Paris-Nord. Yves Citton, Le Canard Réfractaire, jeune média indépendant sur Youtube, analysent le complotisme du point de vue politique et technologique. Deux points de vue décalés et rafraîchissants !