En partant de témoignages réels et locaux, on s’est demandé concrètement comment s’organise le taf à Hautepierre ? Quelles émotions, quels rapports de force, le traversent ?
Cela fait maintenant deux ans que nous avons commencé à élaborer ensemble une série de podcasts sur les emplois populaires. Nous l’avons nommé «Travail sur le travail», et nous, c’est Nawal, Bilal, Ali, Léa, Hélène, Saadia, Pauline, Sarah, Louis, Maryame et Marie.
Notre but n’est pas de faire une analyse sociologique du monde du travail ou des travailleur·euse·s de Hautepierre. Nous cherchons plutôt à rendre compte de situations ou de portraits à Hautepierre à travers le prisme du taf. Dans cette série, vous entendrez les parcours d’humain·e·s, les engagements de groupes auto-organisés et la voix de travailleur·euse·s précaires.
> Pouvoir dire pour pouvoir agir?
Ce premier épisode dans son intégralité retrace les liens forts entre les discriminations de genre et la racialisation du travail. Effectivement, comme l’explique Hélène, artiste et habitante de HTP dans le podcast, si l’on se met à parler du travail féminin et de Hautepierre, on doit forcément interroger le travail racisé.
> Le poids du genre, de race et l’ancrage territorial sur l’expérience du travail
par Nawal Hafed, sociologue indépendante
Qu’est ce que le travail ?
Selon la définition du dictionnaire du magazine Alternatives Économiques, il désigne l’activité génératrice de revenus, en contrepartie de l’effort fourni. Tandis qu’en économie, la notion de travail est l’un des principaux facteurs de production du capital, et dans ce sens, permet la “création de richesse d’un pays” (journaldunet).
En ce qui concerne les origines du terme, le sujet fait débat. Il est question de souffrance ou de torture faisant écho à la pénibilité du travail, mais aussi, à la phase qui précède l’accouchement. Néanmoins, dans la société contemporaine, celui-ci nous renvoie au caractère évoqué en amont, créateur de revenus, toutes activités de production de biens et de services, mais également, de considération sociale. J’entends par là, l’utilité sociale et la reconnaissance sociale à travers le travail. Aussi, cela nous renvoie à la classification de l’emploi en société que l’on nomme les CSP, catégories socioprofessionnelles.
Le terme travail est à différencier avec le terme emploi, selon Ilostat, le marché du travail désigne les diverses formes de travail et statuts, comme par exemple, le travail de production pour usage personnel, le travail salarié, le travail bénévole, le travail gratuit, et autres activités professionnelles. Ce n’est qu’en octobre 2013, lors d’une conférence internationale dans le monde des statistiques à la 19ème ICLS que ces différentes formes ont été adoptées afin de définir statistiquement le terme du travail, de l’emploi et de la sous-utilisation de la main d’œuvre. L’objectif de cette conférence est de permettre de rendre visible l’invisible, (ilostat.ilo.org) dans la collecte des faits et d’être au plus près de la réalité. L’emploi impact directement la croissance d’un pays, de ce fait, les pouvoirs publics se penchent sur la problématique du chômage, notamment, dans certains territoires, comme celui des quartiers populaires. Des mesures spécifiques sont mises en place à travers des contrats aidés, tels que les emplois PEC à destination des plus jeunes, le dispositif emploi franc, ou encore le dispositif d’adulte-relais, sorte de poste de médiateur de quartier. Pour Hautepierre, le taux de chômage atteint 28,4% en 2016 (INSEE), et 43,6% pour les jeunes âgés de 15 à 25 ans. Aussi, le taux de la population de 15 ans et plus non scolarisé, sans diplôme ou DNB représente 47,8%.
Dans le cadre de la résidence Travail sur le travail, nous avons pu à travers les différents podcasts mettre en exergue l’expérience du travail auprès de femmes issues de l’immigration, racisées et des quartiers populaires.
Quid des expériences de travail de ces femmes ?
Les différents témoignages évoquent la condition de la femme dans le champ du travail et de son évolution en France. Le constat n’est pas très optimiste…
Ils parlent également de leur confrontation à cette dure réalité qui est la leur mais aussi de leur inspiration… Autant de vérités que de personnalités en présence dans le podcast… L’exemple donné de la midinette fait écho au travail à la tâche qui revient aux femmes, mais également, à la précarité et à l’insécurité de l’emploi. Ce qui rejoint aussi le statut de l’emploi comme celui de l’auto-entrepreneur. Une certaine illusion de la part de certaines personnes quant à l’idée d’autonomie et de liberté liée à ce statut…
La femme, le travail, une construction sociale ?
Notre investigation de terrain révèle ce que l’on nomme le travail domestique, de ce fait, à la question de comment pouvoir concilier vie de famille et travail pour une femme. Cela met un point sur la charge mentale vécue et subie par les femmes.
Le travail féminin est associé tant au travail précaire que dévalorisant, comme nous le montrent certains métiers qui sont majoritairement féminin tels que les métiers de service à la personne, les hôtesses de caisse ou les femmes de ménage, pour appuyer notre propos, prenons l’exemple de la lutte des femmes de chambre de l’hôtel IBIS. Ce combat a mis en exergue les conditions de travail des femmes, majoritairement des femmes racisées et issus des quartiers populaires. On peut évoquer dans ce cas le concept de pénibilité du travail. Dans un entretien avec Françoise Vergès, les femmes de ménages: Le capitalisme fait des corps racisés des sources d’exploitation jusqu’à leur épuisement, elle montre que la racialisation et la féminisation du travail de soin et de nettoyage est ancienne tout en étant lié au passé colonial de la France et à la surconsommation engendrée par le capitalisme occidental. Elle parle alors de l’usure des corps qui entraîne des problèmes très graves de santé. Mon expérience au niveau personnel et professionnel marque bien cet aspect, à savoir, comment les structures traitent de ce problème, une fois que le corps ne suit plus? Il s’agit de passer par une reconnaissance, la maladie professionnelle ou l’invalidité, pour le meilleur des cas. Seulement, la société relègue cette problématique au champ du handicap, une autre catégorisation qui amène encore plus à une situation de précarisation.
Pour le quartier de Hautepierre, les données suivantes appuient nos propos, la part des actifs occupés pour les 15-64 ans ouvriers représente 37,2% contre 16,3% pour le reste de Strasbourg, les emplois précaires sont à 24,5% en 2016, INSEE. Le taux de l’allocation Adulte Handicapé (AAH), d’un montant maximum de 950 euros est de 9,7% et le taux de pauvreté atteint 50,2%, contre 25% sur Strasbourg.
Cette catégorisation reflète les représentations sociales en société provoquant le manque de reconnaissance d’une partie de la population, pourtant ces différents métiers sont fondamentaux au sein de la société comme nous l’a montré la crise sanitaire. Ce que nous rappelle notamment une des interviewée du podcast, en tant que militante syndicaliste.
Tous ces témoignages ont des points communs, nous sommes, nous les femmes, dans un perpétuel combat, il y a de la souffrance, de l’injustice et des inégalités, hommes/femmes mais également ils témoignent d’une fracture territoriale. Dans le même temps, cela démontre aussi nos forces et nos valeurs, celles du travail et de nos engagements familiaux et sociétaux. Nos luttes contre cette domination, exploitation et oppression que j’appelle l’esclavagisme moderne.
La réflexion à ce jour, comment travailler autrement ? Quels sont nos moyens d’action et d’agir pour y remédier ?
> L’ Autrice
Nawal HAFED, est née le 17 décembre 1977 à Strasbourg, elle a grandi dans le quartier de Hautepierre. Elle est issue de l’immigration, d’un père et d’une mère d’origine algérienne nés pendant l’Algérie française. Elle vient d’une famille de six enfants, sa place dans la fratrie est celle du milieu, c’est-à-dire la troisième, ce qui lui confère une personnalité de conciliatrice et de médiatrice avec un goût prononcé pour la justice et des capacités telles que la sociabilité, l’adaptabilité et la flexibilité.
Un parcours professionnel atypique,
Après avoir travaillé dans le domaine de l’industrie pendant plus de dix ans en tant qu’ouvrière qualifiée, elle reprend les études en 2010, en commençant par le diplôme d’accès aux études universitaires. En parallèle, elle débute professionnellement dans un autre domaine, dans les établissements scolaires pour un poste d’auxiliaire de vie scolaire, puis, avec l’obtention de son DAEU littéraire, elle peut prétendre à un poste d’assistant d’éducation en milieu rural. Ensuite, elle continue en tant qu’assistante de prévention et de sécurité au collège Erasme dans le quartier de Hautepierre pendant deux ans, pour finir, à accéder à un poste de conseillère principale d’éducation (CPE) vacataire pour l’année 2019 à 2020. En même temps, elle continue ses études en sciences humaines et sociales à l’Université de Strasbourg. À ce jour, elle est titulaire d’un Master 2 Sociologie, Parcours : Interventions sociales, Comparaisons européennes, Migrations et propose de manière indépendante son regard sur l’action publique vis-à-vis des quartiers populaires. Ses objets de recherches universitaires tournent autour des dispositifs et des limites de l’action publique, de la politique de la ville, de la jeunesse, de l’éducation, de l’orientation et de l’insertion professionnelle. La précarité de sa double position, professionnelle vacataire et mère étudiante, l’amène à trouver un autre emploi, en tant que médiatrice Insertion au Centre Socio Culturel du quartier de la Meinau à Strasbourg. Son engagement professionnel dans différentes associations, mais également son caractère déterminé, lui permettent d’assurer une posture réflexive sur le terrain et ainsi d’être au plus près de la réalité sociale actuelle. C’est dans ce cadre qu’elle participe au média HTP radio depuis 2018, en portant un regard de sociologue ancré, c’est-à-dire interrelié avec son propre vécu.
> Vers l’écriture d’un article de recherche autour de la résidence TRAVAIL SUR LE TRAVAIL !
Ce premier épisode a également servi à l’analyse distanciée du média HTP radio dans le cadre d’un article de recherche proposé par trois membres actifs de la radio, Nawal Hafed, Louis Moreau-Avila et Pauline Desgrandchamp,
« Média tactique en quartier populaire et narrations radiophoniques partagées : vers une production de l’information décentralisée »
Si cela vous intéresse et que vous avez 23 minutes devant vous, rdv ici !
> Sources utilisées dans le podcast
-Faut qu’j’travaille, Princesse Erika – https://www.youtube.com/watch?v=aWf3z-H_4t8
-archive INA, 1977, Pour ou contre le travail des femmes ? – https://www.youtube.com/watch?v=Pq13bDKVfTU
-entretien avec Geneviève Manka, maille Karine, Hautepierre, 17 mai 2021,
-entretien avec Fleur Laronze, Perestroïka, quartier Gare, 22 mai 2021,
-entretien avec Barbara Morovich, Wagon souk, Koenigshoffen, 28 mai 2021,
-plateau radio avec femmes d’ici et d’ailleurs, maille Catherine, 8 mars et 15 mai 2021
-Rêves illimités, Casey – https://www.youtube.com/watch?v=7-_2eTH1808
-entretien/portrait avec Hélène Humbert, Bierchop, Hautepierre, 8 juillet 2021
-lecture de l’ouvrage « pour un féminisme décoloniale », Françoise Vergès, édition La fabrique, 2019.
-Tomboy, Princess Nokia, https://www.youtube.com/watch?v=AH-LyInSNYw